Un an dans les bois, le grand reset

Si l’évolution ne connaît pas la marche arrière (Boris Cyrulnik), il est parfois utile de regarder le chemin parcouru pour mieux se projeter dans le futur. Juin 2021, je signais l’acquisition du Domaine de Fresnoy. Un changement de cadre de vie à 180 degrés, et le début d’une nouvelle aventure entrepreneuriale et personnelle. Tant d’enseignements ! Un jour, peut-être feront-ils l’objet d’un récit plus long. En voici quelques modestes bribes… .

De la ville au bois  

Voilà maintenant plus de 365 jours que je vis dans les bois. Plus qu’un choix assumé, c’était un appel. Celui du retour à la maison après un long voyage. Ni une maison familiale, inexistante en l’occurence, ni ma Normandie natale. Mais ce lopin de Terre, quelque part, où je me sentirai à ma place pour poursuivre le chemin emprunté depuis quelques années et donner plus de sens à mes actions. C’est ainsi qu’après plus de 30 ans de vie parisienne, je débarquais de façon improbable, mais certaine, dans le Pas de Calais, dans un petit village rural et bucolique des Vallées d’Opale à Loison sur Créquoise dans un ancien relais des templiers. Enfin, pas tout à fait dans le village ! Un peu plus loin encore, là-haut, comme ils disent au village, dans les bois, au bout de l’impasse. L’unique numéro, 100… .

La métamorphose 

Mes 4 premières saisons en immersion dans les bois ont provoqué une douce et profonde métamorphose intérieure comme un reset qui a impacté toutes les dimensions de mon être pour ETRE. J’avais déjà bien cheminé avant d’arriver là, mais le chemin parcouru en 1 an est bien plus profond et subtil. Loin du brouhaha et des sollicitations sociales et consuméristes, dans le silence au coeur du vivant, l’essentiel émerge. Les voiles se lèvent ou tombent. Face à la grandeur de la nature et ses précieux enseignements, sa beauté, ses lois, ses cycles, sa puissance, ses fragilités, son exigence, sa générosité, son hostilité parfois, tout a bougé intérieurement. Chaque jour qui se lève, je suis en gratitude de vivre cette reconnexion profonde avec le vivant. La métamorphose intérieure a aussi induit la métamorphose de mon regard sur le monde. Des clivages, des fractures, des régressions, mais aussi des prises de conscience, des progrès… un monde déboussolé, déraciné, écartelé capable du pire et du meilleur. Entre désespoir parfois et espoir souvent, j’ai résolument envie de croire que la reconnexion au vivant est la voie de l’apaisement et de l’émergence.

Le chemin vers la sobriété

L’urgence écologique impose que nous cheminions rapidement, individuellement et collectivement, vers la sobriété pour nous inscrire dans cette « croissance qualitative », alternative rassurante opposée à la décroissance qui fait tant flipper. Oui, adapter nos comportements de consommation, nos modes de vie et nos modèles économiques en profondeur, est un vrai défi. 

Habiter dans les bois loin de toutes les stimulations consuméristes a, de fait, accéléré mon propre processus, sans que je sois, pour autant, encore exemplaire sur le sujet ! Je constate que l’engagement, aussi conscient et volontaire soit-il, demande beaucoup d’abnégation pour atteindre ce « point G » de la sobriété qui nous procure  un état de satisfaction supérieur au sentiment parfois ressenti de frustration à l’idée de renoncer à quelque chose et de vivre un peu différemment. Je crains que la sobriété, si elle ne nous est pas imposée d’une façon ou d’une autre, ou tracée par quelques pionniers phares, restera pure utopie, à tout le moins asynchrone avec la réalité de l’urgence.

Le solo-multi-entrepreneuriat

Plus qu’un changement d’environnement, ce #pasdecôté m’a propulsé dans de nouvelles réalités professionnelles : le tourisme et la gestion d’un domaine de plus de 4 hectares en milieu rural. Mes priorités ont été l’appropriation du lieu, le développement de l’activité d’hébergeur comme support à une activité centrée sur la reconnexion à la nature. L’aménagement d’un nouvel espace dédié au tourisme d’affaires en milieu rural pour travailler autrement en prise directe avec la nature. L’observation de la nature et la compréhension de l’écosystème, la revalorisation des extérieurs pour dessiner peu à peu des espaces expérientiels, la communication sur tous les fronts, l’accueil des clients, le développement d’un réseau de partenaires locaux, l’organisation d’ateliers / week-ends thématiques, l’accueil de premiers séminaires… 

Une année faite de dépassement, apprentissages multiples, travail intense et physique, humilité, gratitude, joie, rencontres, solitude aussi, doutes parfois, responsabilités beaucoup. La vie de solo-multi-entrepreneure en très accéléré…  

Le rapport au temps 

Peut-être la plus grande leçon que la nature m’ait donnée : le rapport au temps ! Une claque, je dois dire. Oui l’alignement est un long processus. Au Domaine, je vous invite à ralentir, laisser filer le temps…, sans que je me sois appliquée à moi-même cette devise. Business plan, pression financière, exigence de performance,… tous les travers du monde que j’ai quitté, je les ai embarqué avec moi ! Il a fallu que j’observe la temporalité de la nature pendant plus d’un an pour que je concède à lâcher prise sur cette impatience de la performance. Le foutu « toujours plus, toujours plus vite ». Mon projet est un projet engagé de long terme et tel une pousse d’arbre, on ne tire pas dessus, pour la faire grandir. La nature a eu raison de mon impatience. A moi d’ouvrir le champ des voies alternatives du juste équilibre et prendre le temps du développement durable.

Le « genius loci »

Je le pressentais, je le ressentais. Dès la première rencontre avec le domaine, je savais que ce lieu historique s’inscrivait dans l’ère d’après et ma mission serait de le remettre en lumière pour réactiver son « genius » au service des enjeux du moment. Il m’a fallu un long temps d’appropriation et quelques mois d’hiver en tête à tête avec lui, pour m’imprégner de sa singularité. Au-delà de la puissance et des bienfaits de la nature, il y a ce rare et précieux silence qui enchante l’expérience autant qu’il peut oppresser certains. Une musicalité singulière rythmée par les chants des oiseaux et la résonance du vent dans les arbres. Et puis il y a cette énergie qui n’échappe pas aux visiteurs éclairés. Une énergie apaisante, presque envoutante qui invite à laisser filer le temps, se poser, contempler, s’émerveiller jusqu’à ne plus rien faire. Juste ETRE dans l’instant présent et goûter cette alchimie d’ingrédients qui répare et inspire. Un lieu où SE TERRE pour ETRE. 

Des instants d’humanité

Que de belles rencontres en un an ! Je ne retiendrai qu’elles car elles sont majoritaires et c’est ce que je souhaite attirer au Domaine. Mes clients, mon coeur de cible en marketing, viennent en ce lieu séduits par la proposition de valeur qui répond à leurs besoins exprimés de nature, de calme et d’intimité. Et puis il y a des motivations plus profondes qui se révèlent. Beaucoup se confient sur des états de saturation et parfois de burn-out, l’envie de changer de vie, la difficulté à franchir le pas, la quête de sens, la folie urbaine, les enjeux écologiques, la difficulté à bouger les lignes dans les entreprises. Les échanges sont riches et profonds. Bien plus que l’achat d’une nuitée dans une chambre d’hôtes dans les bois, ils ont vécu une expérience sensorielle, esthétique et humaine. Même le temps d’un court séjour, je perçois leur état d’être modifié. Pur bonheur, le génie du lieu a opéré. Fascinant d’être témoin aussi de ce fil d’or subtil de la vie qui réunit des personnes présentes à un instant donné au domaine. Il n’y a point de hasard, que des rencontres. 

Au service de quel tourisme ?

Après un an de retour d’expérience, je m’interroge sur l’identité de mon positionnement touristique que je dois certainement affiner pour mieux rencontrer mes clients. Des clients d’ailleurs pas toujours conscients de ce dont ils ont besoin et parfois pris au piège des automatismes touristiques de masse. De mon côté, la vente de nuitées n’est qu’un moyen au service d’une proposition de valeur. Celle d’offrir un espace rare et précieux aux hôtes. Un cocon historique et naturel doté d’une énergie réparatrice, offrant le silence, l’absence de pollution en tout genre et l’intimité. Un lieu pour « se terre» et être…, être soi, être créatif, être avec les autres, être au coeur du vivant, être vivant. Un lieu qui fait partie de ces oasis qui vont devenir ici et là, des terres d’ancrage et de survie en réponse à des modes de vie urbains qui seront de plus en plus virtuels et accélérés. Ces futurs spots touristiques de l’être qui vont cultiver l’attention à soi, aux autres et la nature. Du slow tourisme au tourisme Terra-peutique… .

En attendant, c’est décidé, je me fous la paix cet été et rendez-vous à la rentrée pour la suite de l’aventure. 

Bel été à toutes et tous. Au plaisir de vous accueillir au DDF ! 

Florence

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