Le Japon est un des pays au monde parmi les plus boisés avec un taux de boisement proche de 70%. Il entretient une relation très particulière avec les arbres. Ils sont à la fois sacrés, mémoires, oeuvres d’art, patrimoine et depuis les années 80 le fondement d’une pratique de santé et bien-être préventive, le shinrin-yoku ou la sylvothérapie japonaise. De retour d’un voyage de découverte de cette pratique au coeur des forêts sacrées du Japon et d’une rencontre avec le Dr Qing Li *, je partage avec vous quelques réflexions.
L’arbre sacré
Habitée par le sacré ou elle-même le sacré, la nature est objet de religion au Japon. Bouddhisme et shintoïsme, les 2 religions qui y sont les plus répandues, prônent en effet un homme au coeur de la nature en harmonie avec son environnement. Les éléments naturels tels que les arbres y sont sacrés.
La sacralisation va bien au-delà de la vie de l’arbre d’ailleurs. Il n’est pas rare de voir des souches ou arbres morts conservés et protégés et parfois observer l’émergence d’une nouvelle vie, preuve de la résilience que nous enseigne la nature. Le nombre d’arbres vieillards y est impressionnant, beaucoup étant d’ailleurs classés au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Tous les temples et sanctuaires entretiennent des arbres et forêts car symbole de longévité, grandeur, résistance, ancrage. Ils font l’objet d’un immense respect hérité des principes animistes.
Le paradoxe de la modernité
Pour autant, étrange paradoxe d’une culture japonaise traditionnelle qui prône une vie en harmonie avec la nature et des japonais convertis au capitalisme qui évoluent quasi exclusivement en milieu urbain. Dans les années 80, face à un mal être grandissant de la population connu sous le nom de karoshi (mort par surmenage au travail), les autorités de la Santé, du Travail et de l’Aide sociale ont pris des mesures visant à limiter ces dérives d’une vie techno-stressante. Un programme sanitaire national en faveur du bain de forêt est entré en vigueur en 1982 basé alors sur du bon sens et de l’intuition. Le terme de shinrin-yoku est alors apparu, lancé par le ministre de la sylviculture qui a déclaré que le peuple japonais avait besoin de retrouver le bien-être grâce à la nature. Ce concept a également été associé à une campagne de protection des forêts. Mais ce n’est véritablement qu’en 2004 que les études scientifiques ont démarré .
De l’intuition à la preuve scientifique
De 2004 à 2012, près de 4 millions de dollars ont été dépensés pour analyser les effets des forêts sur l’être humain. Des études conduites par le Dr Qing Li *, que nous avons rencontré le temps d’une journée pour partager les résultats de ses recherches et pratiquer le shinrin-yoku dans la bambouseraie de Sagano à Kyoto. Les premiers résultats ont prouvé scientifiquement que le bain de forêt permettait de renforcer le système immunitaire, donner de l’énergie, diminuer l’anxiété, la dépression, la colère, réduire le stress et favoriser un état de détente.
Un réveil sensoriel préventif
Les 5 sens jouent un rôle crucial dans les effets apaisants des bains de forêt mais l’odorat est le plus influent. L’exposition aux phytoncides, huiles naturelles libérées par les arbres, améliore l’activité des protéines anti cancer, réduit le taux des hormones de stress, augmente le sommeil, favorise la bonne humeur notamment. Marcher en forêt clarifie l’esprit, peut renforcer de 50% la faculté de résoudre des problèmes et permet aussi d’être plus créatif. Une approche préventive et douce qui s’inscrit dans une démarche globale d’une recherche d’un mode de vie plus sain et équilibré. Aujourd’hui le Japon compte plus de 1000 guides formés à ces pratiques suivies par près de 5 millions de personnes chaque année dans un cadre privé ou professionnel.
Au-delà des frontières
Ces pratiques sylviques ancestrales ne sont pas l’exclusivité du Japon, mais elles y ont acquis de toute évidence leur statut thérapeutique du fait des nombreuses études scientifiques qui y ont été menées. Aujourd’hui l’appel de la forêt a un écho de plus en plus favorable partout dans le monde certainement du fait d’une prise de conscience d’une déconnexion trop grande avec la nature au moment même où les enjeux environnementaux ne nous laissent plus d’option.
De même, les champs d’application ne sont pas seulement thérapeutiques mais peuvent être éducatifs, créatifs, récréatifs, énergétiques. Le magazine ELLE accordait récemment 4 pages aux premières « Forest schools » de l’hexagone. Le contact de la nature améliore les compétences sociales, permet d’expérimenter, de verbaliser. Un cadre propice au développement de savoir-être et de compétences comme la coopération de groupe, la confiance en soi, la créativité, l’empathie et la persévérance.
Et la sylvothérapie doit aussi trouver sa place en France dans le monde de l’entreprise pour apaiser ses maux et participer à l’éveil des consciences environnementales indispensable pour envisager un capitalisme plus humaniste et éco-responsable.
* Médecin immunologiste au Département d’hygiène et de santé publique à l’université de médecine de Tokyo et Membre fondateur de la société japonaise de sylvothérapie. Le Dr Qing Li est aussi auteur de « Shinrin Yoku, L’art et la science du bain de forêt ».
Florence Karras
Crédit photo : Canopsia